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Publié le 13/06/2007
Au-delà de l'Orient et de l'Occident

 Entretien avec Leopold Leeb, éminent sinologue autrichien

La vérité ne se trouve ni en Orient, ni Occident, mais à la fois en Orient et en Occident : elle existe seulement là où elle est. Dans l'avenir, la culture sera peut-être au-delà des frontières, après l'intégration de l'Orient et de l'Occident.

Par Yang Jiaqing

(Photo: Lü Ling)

Né en Autriche en 1967, Leopold Leeb est arrivé en Chine en 1995 et a obtenu un doctorat à la faculté des Sciences philosophiques de l'université de Beijing en 1999. Il est professeur à l'Université Renmin depuis 2004. Toutes ses œuvres ont été écrites en chinois, notamment « Zhang Heng*, Sciences et Religions », « La chrétienté et l'Ancien Monde », une encyclopédie du monde chrétien ou encore le « Dictionnaire des proverbes latins en latin, anglais et chinois ».

Il y a 19 ans de cela, un jeune Autrichien observait à Vienne une affiche sur laquelle étaient calligraphiés deux caractères chinois traditionnels représentant « Taiwan ». Ébloui, le jeune homme s'exclame : «Mon Dieu, mais qui peut donc apprendre cette langue ? ». Le destin a voulu qu'il se rende lui-même dans cette île et qu'il y maîtrise une langue qui constitue souvent un vrai casse-tête… chinois pour les Occidentaux. Aujourd'hui, son niveau lui permet d'enseigner directement en chinois, dans une université reconnue, les trois langues qui se trouvent à la source du christianisme : le grec, le latin et l'hébreu.

« Je n'ai pas peur des difficultés linguistiques, car le chinois m'intéresse. Après deux ans d'initiation à Taiwan, je me suis rendu compte que je pouvais mieux lire que tous les autres étudiants étrangers. À partir de là, la culture, l'histoire et la philosophie m'ont saisi au cœur. En un mot, c'est le jour où je suis parti pour Taiwan qui a déterminé ce que serait ma vie », confie-t-il, très ému, au journaliste de Beijing Information.

L'idiotisme est la quintessence de la langue

Dans sa thèse de doctorat, Leopold Leeb cherche à justifier l'esprit scientifique de Zhang Heng, grand lettré de la dynastie des Han de l'Est.

Dans son pays, Leopold Leeb a étudié l'anglais, le latin et le grec classique à l'école secondaire. Entre 1988 et 1991, il se consacre au mandarin et à la philosophie chinoise à l'université Fu-Jen de Taipei. Malgré un niveau de compréhension orale pendant longtemps assez faible, il persiste à recopier chaque soir des caractères. Sans aucune obligation émanant de ses professeurs, il se plonge également dans la lecture de Confucius et Laozi ; son ambition n'est autre que de comprendre les livres classiques des deux grands philosophes. « Je me répétais sans cesse : un jour, j'aurais assimilé leur pensée. »

La fin justifie toujours les moyens, et le résultat consacre cette méthode particulière : à partir de sa troisième année à Taiwan, Leopold Leeb peut mieux communiquer avec son entourage, et améliore sensiblement son oral. « Il n'a y pas de raccourci possible pour l'apprentissage d'une langue, explique-t-il. Pour porter la maîtrise orale d'une langue étrangère au niveau de sa langue maternelle, le seul moyen est de résider longtemps dans le pays ; l'environnement est une condition indispensable. »

Son autre recette miracle : la mémorisation des expressions particulières. « Les maximes, les proverbes, les dictons constituent la quintessence d'une langue. J'ai acheté un gros dictionnaire d'idiotismes en deux volumes, dont les termes étaient, pour la plupart, en quatre caractères. J'en ai recopié le contenu entier sur des centaines de fiches, me pliant à des exercices de mémorisation en me référant à l'explication en chinois moderne. J'ai éprouvé, à cette étude, une grande satisfaction, car toutes les locutions véhiculaient le confucianisme et le taoïsme. Je réussissais progressivement à saisir le noyau de la langue, de même que ce que je donne aujourd'hui à mes élèves chinois représente la moelle de la civilisation occidentale. »

La translittération, un supplice ?

Leopold Leeb arbore un t-shirt pour faire savoir à ses amis : "L'Occident aussi maîtrise la calligraphie." (Photo: Lü Ling)

« Que la Chine marche vers le monde, et vice versa », propose le professeur Tang Yijie, de l'université de Beijing. C'est sous sa direction que Leopold Leeb accomplit sa thèse de doctorat intitulée « Zhang Heng, Sciences et Religions ». De septembre 1999 à janvier 2004, l'Autrichien travaille comme savant visiteur à l'Institut des religions mondiales de l'Académie des sciences sociales de Chine. Au cours de cette période, il effectue un stage de recherche et de traduction auprès de Zhuo Xinping, expert en religion réputé en Chine. Parallèlement à la parution de ses ouvrages - en chinois, donc - sur le christianisme, Leopold Leeb introduit en Chine une autobiographie de John. C.H. Wu, chrétien d'origine chinoise converti deux fois, qui avait rédigé une Constitution en 1931. Le livre, intitulé « Beyond East and West » (litt. Au-delà de l'Orient et de l'Occident), a été écrit et publié aux États-Unis en 1951 puis traduit en plusieurs langues dont le français, le portugais, le hollandais, l'allemand ou le coréen.

Des divergences de vues s'avèrent rapidement inévitables, lorsque Leopold Leeb commence à travailler avec des éditeurs chinois. « J'insiste toujours sur la nécessité de garder les noms des personnages étrangers en latin, affirme-t-il un peu triste, au lieu de les traduire vers le chinois en transcription phonétique. Par exemple, Beyond East and West a été traduit par un docteur chinois, qui a enlevé pas mal de données originales, alors que je les ai remises quand j'ai fait la correction des épreuves. Je lui ai dit : ''Mais restez fidèle au texte ! Il ne faut pas utiliser seulement les caractères''. Certains rédacteurs m'ont rétorqué que ce n'était ''pas joli'' d'insérer de l'ABC dans un texte écrit en chinois. Ils ont la même tête que celle que faisait le premier empereur de Chine (Qin Shi Huang Di, 259-210 avant notre ère), lorsqu'il cherchait à uniformiser les signes graphiques. »

En exhibant un dictionnaire, Leopold Leeb poursuit : « Ce livre est très rare en Chine, car je n'ai pas traduit en chinois les noms des personnages et des régions, tels que de petits villages en Italie. Par contre, dans cet autre dictionnaire, publié à Taiwan, il y a un penseur français médiéval qui s'appelle Abélard. Son nom possède ici trois traductions différentes ! Cela embrouille les idées. À quoi bon utiliser les caractères et supprimer l'alphabet latin ? Cela revient à empêcher les lecteurs d'acquérir les connaissances originales. Les termes traduits sont, de plus, aussi compliqués qu'inutiles. Bien sûr, certains gens se spécialisent dans ce domaine, mais c'est une autre paire de manche. Un expert a effectué des recherches sur la traduction du seul mot ''latin'' ; sous la dynastie des Qing (1644-1911), on en comptait quarante ! Mais si c'est ça, la sinologie, alors je ne veux pas devenir sinologue ! Comme le dit John. C.H. Wu, une telle discipline mérite d'entrer au musée… »

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