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Publié le 07/08/2015
Forum international de Kubuqi sur le désert : apprivoiser le désert ?

Jacques Fourrier

 

 
Les saules du désert recouvrent les dunes de Kubuqi

 
La 5ème édition du Forum international de Kubuqi sur le désert qui a eu lieu les 28 et 29 juillet dernier dans la Région autonome de Mongolie intérieure a réuni experts et fonctionnaires chinois et étrangers ainsi que les représentants d'organisations internationales pour discuter des moyens de prévenir et d'inverser le processus de désertification, d'érosion et de dégradation des sols. Le « modèle de Kubuqi » a été mis à l'honneur.

 

Désert et pauvreté, deux faces d'une même médaille

Wang Wenbiao est le président d'Elion Resources, le groupe industriel qui a transformé certaines zones du désert de Kubuqi en oasis. « Là où il y a le désert, il y a la pauvreté, là où il y a la pauvreté, il y a le désert », explique-t-il à Beijing Information. Depuis près de 30 ans, Elion lutte contre la désertification et 600 mille hectares de désert ont été transformés en oasis. Mais Wang Wenbiao veut aller plus loin et promouvoir non seulement une « éco-civilisation » dans les zones arides de Chine, mais aussi le long de la Route de la Soie. Le groupe industriel s'est ainsi spécialisé dans les énergies renouvelables et les technologies vertes, les plantes médicinales et le développement touristique.

Le « modèle de Kubuqi » fait appel au PPP, le partenariat entre le secteur public et privé, pour mobiliser les ressources et les hommes au niveau local. Ainsi, à Kubuqi, la population locale est partie prenante dans les initiatives de développement de la région grâce à la réforme du système de propriété, lui permettant de louer les terrains ou de devenir actionnaire. Un tel modèle permet d'effectuer des économies d'échelle, de limiter les pratiques non productives et le gaspillage, et de réaliser des projets d'envergure. Beijing Information a ainsi visité la centrale photovoltaïque de la Société Zhengli New Energy Power Generation. Elle compte déjà 660 millions panneaux solaires et son potentiel de production atteindra 100 mégawatts. La centrale abrite des élevages de moutons et d'oies, qui peuvent se protéger des éléments sous les panneaux géants. Le purin recueilli sert de fertilisant pour une plante riche en protéines dont se nourrissent les animaux. Tout est pensé pour optimiser le site, avec par exemple des panneaux qui reposent sur des briques pour accumuler la chaleur du désert.

Les habitants de la région, qui vivaient dans des conditions difficiles et précaires, travaillent maintenant à la réhabilitation de leur environnement et bénéficient d'infrastructures modernes. Beijing Information a rencontré Wang Youwen, 44 ans, lors d'une démonstration de plantation dans les dunes de sable. Avec son équipe, il plante depuis plus de dix ans des saules du désert pour stabiliser les dunes, ce qui procure à tous un revenu stable. Kubuqi a de plus développé un secteur florissant de plantes pour la médecine traditionnelle chinoise et produit notamment de la réglisse, du ginseng et de la cistanche. Enfin, l'éco-tourisme est en pleine croissance. Le site touristique Seven-Star Lakes accueille annuellement près de 200 mille touristes dans un cadre idyllique qui propose un grand nombre d'activités liées au tourisme du désert.

En luttant dans la désertification et en instaurant une économie verte, Elion a éradiqué la pauvreté à Kubuqi et montré l'exemple. Le secrétariat de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) a d'ailleurs honoré Elion à plusieurs reprises. Le groupe a des ambitions qui dépassent le cadre local. Ainsi, avec de grands groupes chinois comme China Oceanwide ou Chint Group, Elion a créé cette année le Fonds d'investissement écologique de la Route de la Soie qui va notamment établir un corridor pour les énergies renouvelables dans la région de Zhangjiakou, dans la province du Hebei, où se dérouleront les JO d'hiver de 2020, mais aussi investir dans les pays riverains de la Route de la Soie, comme le Kazakhstan. Elion a par ailleurs lancé le « Greening Silk Road Partnership », visant à planter 1,3 milliards d'arbres le long de la Route de la Soie.

Ces projets trouvent leur place dans la Ceinture économique de la Route de la Soie, lancée par le gouvernement central de Chine en 2013 dans le cadre de l'initiative « Une ceinture, une route ». Il s'articule avec le concept d'éco-civilisation et la priorité donnée au développement durable pour ouvrir la voie à un nouveau mode de croissance en renforçant l'interconnexion et les opportunités d'investissement dans ces régions parmi les plus touchées par la désertification et la sécheresse.

 

Des problématiques spécifiques

Le modèle de Kubuqi a naturellement séduit les experts étrangers invités à présenter le résultat de leurs recherches sur les questions de désertification et de dégradation des sols. Tous ont cependant mis l'accent sur les spécificités des écosystèmes et des causes de la désertification, qui nécessitent des approches qui vont parfois à l'encontre du modèle de Kubuqi. « Beaucoup ont dû se poser la question : pourquoi voulons-nous un désert vert ? », demande David Gallacher, de l'Université Zayed à Dubaï. « Il y a sûrement beaucoup de raisons, mais ce n'est pas clair », continue-t-il. Victor Squires, un expert australien de 76 ans, professeur à l'Université d'agriculture du Gansu, explique à Beijing Information que les efforts visant à « apprivoiser » le désert en Chine obscurcissent les causes de la dégradation des sols. Il faut faire selon lui la distinction entre le nécessaire contrôle du désert et le contrôle de la désertification. Il observe que si les zones arides font preuve de grande résilience, les prairies semi-désertiques se dégradent à un rythme inquiétant. Il estime ainsi que le fait de planter dans les dunes est une opération visible mais coûteuse en ressources. « Il faut s'attaquer à la dégradation des prairies et des pâturages », préconise-t-il, « et favoriser la prévention car la réhabilitation des zones dégradées est coûteuse et procure des résultats limités ».

Ce travail en amont est indispensable, comme l'explique Mohamed Moussa, chercheur à l'Institut des régions arides en Tunisie. « Pour résoudre ce problème, il faut commencer à sensibiliser dès les écoles primaires, sensibiliser les jeunes aux problèmes de désertification », insiste M. Moussa, qui s'est personnellement lancé dans ce travail d'information en Tunisie. Kristina Toderich, spécialiste agronome à l'International Center for Biosaline Agriculture, en Ouzbékistan, appelle aussi à une approche de terrain pour lutter contre les résistances au niveau local. Certaines pratiques traditionnelles contribuent en effet à la dégradation des sols et les aides des organisations internationales n'ont que peu d'effets s'il n'y a pas un accompagnement. « J'ai planté moi-même les graines de quinoa, de sorgho pour les [les agriculteurs] convaincre. Quand ils ont vu les résultats, ils ont commencé à nous croire et à nous faire confiance ».

La question de l'eau a aussi été largement évoquée. Les experts présents ont tous soulevé la nécessité d'une politique transparente pour la fixation du prix de l'eau. Citant l'exemple du bassin Murray-Darling en Australie, David Gallacher explique qu'il aura fallu 15 ans pour qu'un système complet et transparent soit mis en place dans la gestion des ressources hydrauliques. Une nécessité que souligne Victor Squires, qui appelle à une allocation des ressources en eau plus rationnelle en fonction des usagers et de leur utilisation.

La conclusion est fournie par Maximilian Abouleish-Boes, un des deux lauréats du prix 2015 Land for Life Award de l'UNCCD pour le projet SEKEM, en Egypte, fondé par le chimiste Ibrahim Abouleish dans les années 1970. A 31 ans, Maximilian Abouleish-Boes peut s'enorgueillir d'une expérience riche et fructueuse dans le développement durable et l'entreprenariat social en zone aride. SEKEM adopte une approche holistique, basée sur une agriculture biodynamique et une vision humaniste du développement socio-économique et culturel. A une approche directive, SEKEM substitue une approche participative. « On ne peut pas transposer SEKEM ici en Chine, ni Elion en Egypte, les dynamiques sont différentes, les mécanismes sont différents, les priorités sont différentes », remarque-t-il. Il voit néanmoins des éléments comparables entre Kubuqi et SEKEM, estimant que les deux modèles peuvent servir de vitrine.

 

Autre article sur ce sujet :

Le désert, source de richesses

http://french.beijingreview.com.cn/enen/txt/2015-04/20/content_684036.htm

 

 

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