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Publié le 11/05/2015
Moscou veut à tout prix sauver son économie

Li Ziguo

 vice-directeur du département Eurasie de l'Institut des études internationales de Chine

Fin 2014, la Russie a subi deux coups durs, à savoir les sanctions occidentales et la baisse de 50% du prix du baril de brut sur les marchés internationaux. La bourse russe a connu de fortes fluctuations à la baisse et le taux de change du rouble contre le dollar a chuté pour passer à 80 roubles. L'économie russe a touché le fond avec une croissance de seulement 0,6% et les prévisions pour 2015 annoncent une baisse de 4 à 5%. Se pose maintenant la question de savoir comment sortir de l'impasse. Le président russe Vladimir Poutine le sait parfaitement : si l'économie est en berne sur une longue période, son taux de popularité élevé suite à l'annexion de la Crimée risque bien de n'être que de courte durée. La Russie doit trouver les moyens de sortir de cette impasse économique.

 Prendre l'initiative et saper l'alliance antirusse

 1 - Tirer parti des divisions internes entre l'Europe et les Etats-Unis et briser la logique américaine qui se sert de la crise en Ukraine pour générer l'antagonisme entre la Russie et l'Europe. 

Fin 2014, le premier ministre russe Dimitri Medvedev annonçait que l'économie russe avait accusé une perte comprise entre 40 et 50 milliards de dollars en raison des sanctions occidentales. Encore plus important, les sanctions ont fait fuir les investisseurs, entraînant des flux de sortie de capitaux considérables, qui ont atteint 151,5 milliards de dollars. Cette insuffisance a asphyxié l'économie russe. Il est donc impératif que les relations se détendent entre les pays occidentaux et la Russie. Moscou a par ailleurs vu que l'Europe n'était pas un bloc monolithique. Les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et la Russie sont réduits, ce qui permet à Washington de prendre des mesures stratégiques pour contenir Moscou et mettre de temps en temps de l'huile sur le feu dans le dossier ukrainien. Par contre, les relations commerciales entre l'Europe et la Russie sont étroites. L'Europe dépend fortement des ressources naturelles russes et tous veulent garder de bonnes relations. De plus, les pays européens, surtout l'Allemagne et la France, ne veulent pas d'un affrontement militaire direct avec la Russie et se retrouver « aux premières lignes sur le champ de bataille ». C'est pour cela que Berlin joue les intermédiaires. Grâce à ses efforts, les dirigeants russe, allemand, français et ukrainien ont tenu des consultations d'urgence pendant 16 heures du 11 au 12 février 2015. Ils sont parvenus à un accord important sur un cessez-le-feu complet dans l'est de l'Ukraine et un démantèlement des armements lourds. Ils ont ravivé l'« Accord de Minsk » signé en septembre 2014, mais qui n'avait pas été respecté. Devant l'amélioration dans une certaine mesure de la crise ukrainienne, les pays occidentaux vont mettre au placard la nouvelle série de sanctions qu'ils se préparaient à prendre. A l'avenir, la Russie va continuer à se servir des « vieux » pays européens comme l'Allemagne et la France pour pousser l'Union européenne à autoriser la suppression partielle ou totale des sanctions. En contrepartie, Moscou pourra supprimer des restrictions sur les importations de produits agricoles européens qui causent de fortes pressions inflationnistes sur son marché des produits alimentaires.

Vladimir Poutine a effectué plusieurs déplacements à l'étranger et joue un rôle actif. Depuis novembre 2014, en trois mois, il s'est rendu en Chine (au sommet de l'APEC), en Turquie, en Ouzbékistan, en Inde et en Egypte, des pays qui ne sont pas dans le camp occidental mais qui sont des partenaires commerciaux importants pour la Russie. Le 1er décembre 2014, alors qu'il était en visite en Turquie, il a annoncé l'abandon de la construction du gazoduc paneuropéen « South Stream » et a renforcé la coopération énergétique avec Ankara avec la construction d'un gazoduc vers la Turquie. Le 10 décembre, en Ouzbékistan, M. Poutine a signé l'« Accord sur les lignes directrices pour le développement et le renforcement de la coopération économique entre les gouvernements russe et ouzbek pour la période 2015-2019 ». En Inde a été signé un gros contrat sur l'énergie nucléaire. La Russie va construire 12 réacteurs nucléaires au cours des 20 prochaines années, portant au final à 25 leur chiffre total. M. Poutine s'est aussi fait le promoteur des appareils de transport aérien Soukhoï Superjet 100 et Irkout MS-21. Le 10 février 2015, M. Poutine a été le premier président russe à effectuer une visite en Egypte en 10 ans. Les deux parties ont signé un mémorandum pour la construction d'une centrale nucléaire et prévoient d'établir une zone commune de libre-échange ainsi qu'une cité industrielle russe en Egypte. La Russie continue à s'ouvrir sur l'extérieur et à développer la coopération économique avec les pays non-occidentaux afin de la diversifier et d'accroître ses débouchés avec eux.

 2 - Accélérer le rythme de l'établissement de l'alliance économique eurasiatique et renforcer son « arrière-cour ».

Même si la Russie possède deux atouts de taille avec les produits nucléaires et militaires, sa compétitivité internationale dans le secteur civil est insuffisante : les principaux débouchés pour les produits des secteurs de l'électromécanique et de la chimie notamment se trouvent dans la Communautés des Etats indépendants (CEI). La Russie a toujours considéré que la CEI était cruciale pour la restructuration de son économie. Le 29 mai 2014, la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan ont ratifié le « Traité sur l'Union économique eurasiatique ». L'Union économique eurasiatique est entrée en vigueur le 1er janvier 2015 et permet la libre circulation des produits et services, des capitaux et des personnes pour parvenir à terme à une organisation du même type que l'Union européenne. La Russie souhaitait aussi pousser le Kirghizstan et l'Arménie à joindre l'organisation. En janvier 2015, l'Arménie a annoncé son intention de l'intégrer et le Kirghizstan fera son entrée officielle en mai cette année. La Russie réussit à promouvoir une organisation où elle occupe une position centrale et parvient ainsi à préserver son influence dans son « arrière-cour ».

 3 - Accroître les échanges avec la Chine, trouver un point d'appui stratégique de développement. Accélérer le développement de la Sibérie et de l'Extrême-Orient russe.

La Russie a très tôt établi une stratégie visant à accélérer le développement de la Sibérie et de l'Extrême-Orient en mettant à profit la croissance rapide de l'économie de la zone Asie-Pacifique. La Chine et la Russie ont des relations de partenariat et de coopération stratégique et les relations entre les deux gouvernements sont étroites : il s'agit du point d'appui stratégique du développement de l'économie russe. En mai 2014, la Chine et la Russie ont signé un accord sur le gaz naturel d'un montant de 400 milliards de dollars, une avancée cruciale dans la diversification des exportations russes de matières premières. En novembre 2014, la China National Petroleum Corporation (CNPC) et Rosneft ont signé l'« Accord-cadre sur la coopération dans le projet des champs pétrolifères de Vankor ». La CNPC a été invitée à acquérir une participation de 10% des champs pétrolifères de Vankor, considérés comme un fleuron russe. La Russie a dans le même temps pu pénétrer le marché chinois en aval avec un projet de raffinerie et d'usine de produits chimiques à Tianjin, financé par des capitaux sino-russes, qui commencera officiellement ses activités en 2019. Les deux parties vont aussi établir conjointement 300 stations-essences. L'alliance stratégique sino-russe dans le domaine des ressources naturelles prend progressivement forme. Mis à part les ressources naturelles, citons la fin des discussions préliminaires entre les deux pays sur les avions gros-porteurs et l'entrée du projet dans sa phase pratique. En octobre 2014, lors de la visite du premier ministre chinois Li Keqiang en Russie, les deux parties ont signé un mémorandum sur un projet de train à grande vitesse pour promouvoir un corridor de transport à grande vitesse entre Beijing et Moscou. Dans les prochaines années, la Chine sera le principal investisseur en Russie et l'intégration économique des deux pays sera approfondie d'une manière plus poussée, de sorte que la dépendace de la Russie à l'égard de l'Occident se réduira davantage.

 Affronter la crise et restructurer l'économie

 1 - Faire redémarrer le comité anticrise, lancer un plan anticrise.

Le 23 janvier 2015, M. Medvedev a annoncé que la Russie avait redémarré son comité anticrise, créé à l'origine durant la crise financière internationale en 2008 et 2009. Il se compose actuellement du gouverneur de la Banque centrale et de hauts fonctionnaires des Finances et du Budget notamment, des directeurs de caisses d'épargne et de banques du commerce extérieur, ainsi que de membres des chambres basse et haute du pays. Son conseiller spécial est l'ancien ministre russe des Finances, Alexeï Koudrine. Le 28 janvier, après des consultations d'urgence, le gouvernement russe a fait connaître son « Premier plan d'action pour 2015 pour maintenir le développement économique durable et la stabilité sociale ». On y trouve deux points essentiels : d'abord, des coupes budgétaires qui n'amputent pas les minima sociaux. Ensuite, un coup de fouet à l'économie pour assurer la reprise de la croissance, avec des financements et des mesures de soutien de près de 1 400 milliards de roubles dans la finance, la construction d'infrastructures, les secteurs agricoles et industriels ainsi que dans l'innovation. La dépendance exagérée de l'économie russe à l'égard des ressources naturelles doit aussi changer, c'est le consensus général. Le gouvernement doit s'en servir pour soutenir les secteurs non-énergétiques et faire de la crise un tremplin.

 2 - Etablir des zones de développement du type Fast-Track.

La Russie avait déjà établi des zones économiques spéciales sous diverses formes mais les résultats n'avaient pas été convaincants. En décembre 2014, M. Poutine a ratifié une loi portant sur des zones de développement du type Fast-Track qui stipule que les entreprises de l'Extrême-Orient russe peuvent demander au cours des trois premières années des dispositions fiscales particulières en fonction des projets, comme l'exemption de la taxe fédérale sur les bénéfices pendant 5 ans ou la réduction des taxes locales. En d'autres termes, si les projets d'investissement sont valables, il sera alors possible d'établir une zone spéciale, et non pas l'inverse, à savoir établir une zone spéciale en attendant que les projets se concrétisent. M. Poutine prévoit la création de 14 zones du type Fast-Track dans l'Extrême-Orient russe au cours de la phase initiale. La Russie ne cesse de tirer les leçons de son expérience pour tenter de trouver des mesures qui conviennent à sa situation nationale.

 3 - Améliorer l'environnement des investissements.

Peu propice, l'environnement russe des investissements a fait l'objet de critiques. Depuis fin 2012, la Russie a successivement promu une « feuille de route » qui concerne 15 domaines différents pour y remédier. Le 30 janvier 2015, Yury Trutnev, vice-premier ministre russe et envoyé présidentiel pour le District fédéral extrême-oriental, a déclaré que Vladivostok allait adopter des droits de douane spécifiques, réduisant les droits portuaires et annulant des droits de douane. A l'avenir, toute la bordure maritime du kraï du Primorié pourrait devenir une zone douanière spéciale. M. Poutine a par ailleurs ordonné aux services concernés de lui adresser un rapport sur les avancées effectuées grâce à cette « feuille de route ». Après avoir tiré les leçons des erreurs du passé, la Russie a effectué une « libération de la pensée » pour améliorer l'environnement des investissements dont la portée est loin d'être minime.

Un retournement économique pas évident

Du point de vue intérieur, la crise économique russe est le résultat prévisible de l'accumulation de problèmes sur le long terme. Depuis de nombreuses années, l'économie russe n'est pas en bonne santé, le gouvernement en a parfaitement conscience. Avec l'arrivée de M. Medvedev, le pays cherche à transformer son modèle de développement économique, notamment avec les concepts d'« économie innovante » et de « nouvelle économie ». Sans parler de la tentative de création d'une « Silicon Valley » russe. La structure de l'économie russe est cependant héritée de l'Union soviétique. L'Etat et les entreprises font des bénéfices colossaux sans trop se fatiguer grâce à l'extraction des ressources naturelles et la motivation manque pour prendre des risques dans l'innovation. Cette inertie rend difficile la restructuration économique à court terme. 

Du point de vue de l'étranger, la Russie n'a aucune influence sur l'augmentation du prix des ressources énergétiques. Principal producteur mondial dans ce domaine, le pays n'a pas le pouvoir d'influer sur les prix. Par ailleurs, la levée de sanctions occidentales ne dépend pas de la volonté de la Russie. La crise ukrainienne reste imprévisible et à court terme, les relations entre Moscou et l'Occident auront du mal à s'améliorer réellement, surtout si l'on considère qu'il est plus facile d'imposer des sanctions que de les lever.

La Russie ne sortira pas facilement de la crise et il lui sera encore plus difficile de prendre la voie d'un développement sain.

 

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