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Publié le 04/02/2015
L'Ukraine se tourne vers l'Occident

Ye Tianle

Le 23 décembre 2014, 303 députés de la Rada, le parlement ukrainien, ont voté en faveur du renoncement au statut de non-aligné, une proposition avancée par le président ukrainien Petro Porochenko. La clause de la « Loi fondamentale de politique intérieure et étrangère », passée lors du mandat de Viktor Ianoukovitch, qui stipule que « l'Ukraine conserve un statut de non-aligné », a été supprimée. Une nouvelle clause a été ajoutée concernant l'approfondissement des relations avec l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) afin de « remplir les critères qui permettront d'adhérer à l'OTAN ». On trouve aussi une clause qui stipule que le statut de non-aligné de l'Ukraine « ne joue aucun rôle dans la garantie de la sécurité de l'Etat et la résistance à une agression étrangère ». Après le vote de cette proposition, M. Porochenko a fait savoir que l'adhésion à l'OTAN ferait l'objet d'un référendum national.

Cette renonciation au statut de non-aligné est en surface le prélude à une tentative de M. Porochenko d'adhérer à l'OTAN, mais à un niveau plus profond, elle reflète la culture stratégique propre à l'Ukraine. D'abord, elle concerne l'identité historique du pays lui-même. Berceau de l'orthodoxie chrétienne, l'Ukraine occupe une position stratégique à la croisée des chemins entre l'Europe et la Russie, se situant depuis le XVe siècle entre les cultures orthodoxe et catholique. Des puissances comme la République des Deux Nations (Pologne et Lituanie), l'empire Ottoman, l'empire austro-hongrois, la Russie tsariste et l'URSS ont toutes contrôlé les vastes plaines ukrainiennes pour en faire les bases avancées de leur expansion. Les luttes ont été incessantes des deux côtés du Dniepr. Les rivalités entre puissances étrangères ont conduit au morcellement du pays, puis à son unification pendant une courte période avant qu'il ne soit de nouveau divisé. Au cours de l'histoire, le pays n'a jamais eu de dirigeants forts et visionnaires qui auraient pu changer sa destinée de pays conquis et administré par d'autres. Les quelques mouvements de lutte nationalistes et d'indépendance ont été de courte durée et écrasés par les puissances étrangères. Ainsi, historiquement, c'est dans cette « dépendance vis-à-vis de grandes puissances tout en aspirant à l'indépendance » que l'Ukraine veut réaliser son propre développement et devenir une nation forte.

Ensuite, il faut y voir la volonté de l'Ukraine de se débarrasser de l'emprise de la puissance russe. La Russie et l'Ukraine possèdent les mêmes racines et sont inextricablement liées historiquement, culturellement, politiquement et économiquement notamment. Au XIXe siècle, la partie orientale de l'Ukraine relevait de la sphère d'influence russe. En 70 ans, cette république intégrée à l'URSS dès sa création a gagné son autonomie et construit une industrie puissante, combattu aux côtés de la Russie comme deux peuples frères pour repousser les envahisseurs au cours de la Seconde Guerre mondiale et sauvegarder la souveraineté du pays. Reste qu'entre les deux pays, certaines contradictions historiques sont toujours vivaces : les famines des années 1930, la répression des forces ukrainiennes de résistance par l'Armée rouge et la pression exercée par Moscou pour étouffer le développement de la culture ukrainienne, notamment l'interdiction de parler la langue. Tous ces faits ont laissé un goût amer dans le pays. Il en résulte une méfiance, les reproches allant jusqu'à l'hostilité à l'égard de la Russie, surtout évidents dans l'ouest de l'Ukraine. Ces dernières années, les forces indépendantistes extrémistes ukrainiennes ont progressivement gagné du terrain et réclament aveuglément le renouveau de la nation ukrainienne, et parfois réfutent l'histoire en omettant les victoires obtenues au cours de la Seconde Guerre mondiale. Récemment, le premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk, en visite en Allemagne, a évoqué la thèse selon laquelle « la lutte de l'URSS contre les nazis est un acte d'agression », ce qui reflète ce point de vue.

Troisièmement, l'abandon du statut de non-aligné est un « choix réaliste » du gouvernement ukrainien alors que le pays fait actuellement face à une situation de trouble. Après l'effondrement de l'URSS, l'Ukraine est devenue un pays indépendant. Dans le même temps, le pays s'est dénucléarisé et a renoncé à l'arme atomique : la recherche de garanties sécuritaires devenait une exigence pressante. Devant la dépression qui a frappé les économies des pays de la Communauté des Etats indépendants après la dislocation de l'URSS et la situation sociale chaotique, l'Ukraine a adopté dès l'obtention de son indépendance un plan stratégique consistant à s'éloigner de la Russie et à se rapprocher de l'Union européenne. La demande d'adhésion à l'OTAN est un élément important de ce projet visant à préserver sa sécurité. Après cela, la scène politique ukrainienne a connu de nombreux rebondissements, des forces pro-russes et pro-occidentales prenant tour à tour le pouvoir. L'adhésion à l'OTAN a donc subi un parcours chaotique. A chaque fois que les échanges entre l'Ukraine et l'OTAN se multipliaient, la Russie affichait son opposition et les condamnait. En 2010, le président d'alors, Viktor Ianoukovitch, fit passer la « Loi fondamentale de politique intérieure et étrangère », pour confirmer légalement le statut de non-aligné de l'Ukraine. Il gelait ainsi temporairement cette « ligne rouge » qui constituait un défi potentiel pour la Russie. Par la suite, après l'accession au pouvoir du camp favorable à l'Occident en février 2014 et des affrontements sanglants dans le pays, le risque de conflit civil à long terme, voire même de scission, n'a cessé d'augmenter. L'adhésion à l'OTAN est de nouveau revenue à l'ordre du jour, devant la soi-disant « invasion russe » et le dilemme sécuritaire posé par l'incapacité à se défendre, reflétant le « choix réaliste » du gouvernement de M. Porochenko.

L'abandon du statut de non-aligné revêt cette fois une signification plutôt promissoire. L'engagement de M. Porochenko d'adhérer à l'OTAN dans un délai de six ans ne pourrait être qu'un vœu pieux, sachant qu'un référendum aura lieu, et compte tenu des négociations sur les modalités d'adhésion et de l'incertitude quant à savoir si l'OTAN acceptera. Actuellement, les affrontements dans l'est du pays persistent et avec l'hiver, les deux camps restent sur leurs positions. L'interdiction d'utiliser des armes lourdes notamment et le retrait des troupes de chaque camp, stipulés dans l'« accord de Minsk », n'ont fondamentalement pas été respectés. En matière d'approvisionnement, de statut des régions orientales, d'échanges de prisonniers et de démantèlement des armes lourdes notamment, les avis du gouvernement et des autorités locales de Donetsk et de Louhansk sont encore très partagés. Les pourparlers de Minsk ne peuvent même pas reprendre après seulement un premier tour et la situation d'« indépendance de fait » perdurera encore sur le court terme. Les ouvertures du gouvernement à l'OTAN ne permettent pas de régler les problèmes dans l'est du pays et vont même exacerber les tendances indépendantistes. Le pouvoir politique à l'est va plutôt progresser sur la base de cette « indépendance de fait », exiger la scission avec l'Ukraine pour devenir un pays indépendant. Une pilule difficile à avaler pour le gouvernement ukrainien si c'est le prix à payer pour adhérer à l'OTAN.

Du point de vue de Moscou, l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN constituerait une ligne infranchissable. La Russie accorde une extrême importance aux notions de territoire et d'espace stratégique et l'élargissement de l'OTAN au Dniepr signifierait la guerre. Le premier ministre russe Dmitri Medvedev avait déjà prévenu l'Ukraine : en cas d'abandon du statut de non-aligné, elle deviendrait un adversaire potentiel de Moscou. Ce n'est qu'un aperçu de l'importance de la sensibilité de ce sujet. Les sanctions de l'Union européenne et des Etats-Unis ainsi que la chute du prix du pétrole affectent fortement la situation économique de la Russie et les marchés financiers du pays sont durement ébranlés. Afin d'éviter l'effondrement complet de son économie et de maintenir la stabilité politique intérieure, Moscou ne cesse d'envoyer des messages de conciliation. Lors de son discours annuel à l'Assemblée fédérale et de la conférence de presse annuelle, Vladimir Poutine a souligné que la Russie ne « prendra pas le chemin de l'isolationnisme », souhaitant que les pays occidentaux deviennent des « partenaires sur un même pied d'égalité ». Dans ce contexte, la volonté de l'Ukraine d'adhérer à l'OTAN a une nouvelle fois touché une corde sensible : pour défendre cette « ligne rouge » intouchable, Moscou pourrait bien modifier son attitude conciliante vis-à-vis des pays occidentaux.

Par ailleurs, l'initiative de rapprochement de l'Ukraine à l'OTAN ne donne pas un sentiment de sécurité à l'Europe. Après la fin de la guerre froide, la question de la sécurité en Europe n'a pas été fondamentalement résolue. Même si l'élargissement de l'OTAN a accru sa puissance militaire, cela a aggravé de manière imperceptible le dilemme sécuritaire en Europe continentale. Devant la crise ukrainienne, le plus grand défi posé à l'Europe depuis la fin de la guerre froide, l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN signifierait une rupture totale avec Moscou ou alors le début d'une crise encore plus grave. L'Europe connaît déjà beaucoup de problèmes et pourrait difficilement supporter un choc encore plus important. L'année 2015 sera celle des défis économiques et diplomatiques pour l'Europe. Depuis l'inauguration du Conseil de l'Europe, les avis sont partagés : le leadership de l'Allemagne s'affaiblit, la France et l'Italie pourraient bien agir mais leur économie le leur empêche, le Royaume-Uni menace de quitter l'Union européenne à tout moment. Sur le plan économique, la tendance déflationniste dans la zone euro s'accroît et il est difficile de dire si la politique d'assouplissement monétaire menée par la Banque centrale européenne va donner des résultats. L'euro est sans cesse confronté à des pressions à la hausse. Sur le plan sécuritaire, le spectre du terrorisme plane de nouveau au-dessus de l'Europe depuis ce début d'année. Devant tant de défis, on est en droit de se demander si l'Europe peut sincèrement accorder toute son attention à l'Ukraine.

La crise ukrainienne se poursuit depuis déjà plus d'un an et tous les protagonistes sont épuisés par ce conflit. L'abandon du statut de non-aligné, même s'il n'est pas favorable à une résolution de la crise, ne relancera pas le conflit entre le camp russe et le camp occidental. Les relations internationales se caractérisent en effet aujourd'hui par leur caractère multipolaire et chaque pays peut choisir une pluralité d'options pour sa sécurité. Il n'est guère probable que se reproduise la situation qui prévalait lors de la période de la guerre froide, avec des « alliés loyaux » dans chacun des deux camps. Choisir d'adopter le statut de non-aligné ou de prendre parti, c'est d'abord privilégier la stabilité et le développement social du pays.

 

L'auteur est assistant de recherche du département Russie de l'Institut de recherche des relations internationales contemporaines de Chine.

 

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