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Publié le 17/11/2014
La longue et difficile lutte des Etats-Unis contre le groupe Etat islamique

Li Wei

Depuis cette année, l'émergence du groupe Etat islamique des cendres d'Al-Qaïda, qui ne cesse de gagner du terrain et de porter le chaos à la périphérie, constitue une menace directe à l'encontre des Etats-Unis et des pays occidentaux. Lent à réagir au début, Washington a cependant vu la menace grandir et le 8 août débutait les frappes aériennes avant d'adopter le 10 septembre une stratégie d'ensemble de lutte contre l'Etat islamique. Les résultats obtenus par les Etats-Unis ne sont cependant absolument pas à la hauteur des anticipations et il faudra du temps pour éradiquer cette organisation.

Pourquoi l'Etat islamique est-il si violent ?

L'émergence de l'Etat islamique n'est pas le fruit du hasard, car le départ des troupes américaines d'Irak a à la fois laissé un grand vide sécuritaire, conduisant à l'échec du gouvernement irakien, et par ailleurs, les troubles au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ainsi que la guerre civile en Syrie, ont précipité la « guerre sainte » internationale. C'est dans ces conditions que l'Etat islamique a prospéré, que l'organisation s'est renforcée rapidement pour remplacer progressivement Al-Qaïda et devenir le problème numéro un des Etats-Unis en matière de terrorisme.

Premièrement, l'Etat islamique possède une assise dans le terrorisme et une puissance importante.

L'organisation s'est développée à partir d'Al-Qaïda en Irak, qui avait été défait par les Etats-Unis, mais qui, profitant du départ des troupes américaines du pays en 2011, s'était alors réorganisé en gagnant en force. Après l'éclatement de la guerre civile en Syrie, l'organisation s'est infiltrée dans le conflit et y a forgé des alliances, occupant de larges zones et devenant un groupe à part entière. En avril 2013, son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, proclamait unilatéralement la fusion avec la branche d'Al-Qaïda en Syrie (le front al-Nosra) pour créer le précurseur de l'Etat islamique, l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Al-Qaïda et le front al-Nosra l'ont violemment rejeté. L'Etat islamique a alors progressivement établi des places-fortes et rompu avec Al-Qaïda. Le 29 juin 2014, al-Baghdadi, dans une vidéo, proclamait l'établissement d'un califat en Irak et en Syrie et annonçait la création de l'organisation nommée « Etat islamique ». Elle compte plus de dix mille membres, à la fois rompus aux méthodes terroristes après avoir accumulé de l'expérience en Irak et en Syrie et bien entraînés, sachant utiliser les armes légères et lourdes et pouvant déployer une force militaire conventionnelle pour des opérations coordonnées en unités au sol.

Deuxièmement, sur le plan financier et des sources de revenus.

L'Etat islamique pratique le racket au titre de la protection dans les zones qu'il contrôle, notamment auprès des commerçants, des stations-services et des supermarchés. A Mossoul, chef-lieu de la province irakienne de Niniwa, le racket rapporte jusqu'à huit millions de dollars par mois. A partir de 2012, l'organisation a commencé à revendre du pétrole dans les zones qu'elle contrôle en Syrie, et à déterrer et vendre aux plus offrants le produit des fouilles archéologiques tout en se livrant aux enlèvements et au braquage de banques pour accroître ses fonds. Mais c'est principalement des dons provenant des entrepreneurs sunnites de pays du golfe Persique que les fonds affluent. Selon le journal britannique The Guardian, dans un article du 25 juin 2014, l'Etat islamique a braqué la Banque centrale de Mossoul en juin, le butin s'élevant à 425 millions de dollars et dérobé une grande quantité d'armement du ministère irakien de la Sécurité, le chiffre dépassant les 400 mille pièces. L'Etat islamique est devenu l'organisation terroriste la plus riche au monde. Selon un responsable irakien, avant la prise de Mossoul, les fonds et les actifs de l'organisation se montaient à 875 millions de dollars. Après le braquage de la Banque centrale de Mossoul et la razzia en armement et en véhicules en Irak, le montant total de ses actifs s'élève maintenant à deux milliards de dollars. Cette puissance financière lui permet non seulement de payer combattants et équipement en Irak, mais aussi de procurer un soutien financier aux autres terroristes, qu'ils soient organisés ou non, et d'accroître ainsi considérablement leur force et leur menace.

Troisièmement, la direction de l'organisation est puissante et sa stratégie de gouvernance exceptionnelle.

Son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, une quarantaine d'années, est encore jeune et vigoureux. Il est aussi très éduqué puisqu'il est titulaire d'un doctorat en études islamiques de l'université de Bagdad. Il se dit descendant du Prophète et excelle dans l'art de la guerre. Sous son autorité, l'Etat islamique a acquis plus de connaissances qu'Al-Qaïda en matière d'établissement de bastions, de meurtres d'hérétiques, de prises d'otages et d'explosifs, obtenant des succès importants et s'appropriant de larges territoires en Irak. Par ailleurs, l'Etat islamique a réalisé le souhait que nourrissait Al-Qaïda, à savoir l'établissement d'un califat en Irak et le développement d'un modèle social efficace, mettant en place la charia et proposant des services sociaux très diversifiés et bien accueillis par la population. Enfin, de nombreux partisans étrangers de la « guerre sainte » se joignent à cette organisation.

La lutte de Washington contre l'Etat islamique est-elle efficace ?

Le président américain Barack Obama annonce sa stratégie de lutte contre l'Etat islamique.

Après les attentats du 11 Septembre, George W. Bush avait lancé la guerre contre le terrorisme pour en devenir le fer de lance et l'antagonisme entre le monde musulman et les Etats-Unis s'est ainsi creusé. Washington s'est embourbé dans les conflits en Afghanistan et en Irak. Après l'élection de Barack Obama, la stratégie de lutte contre le terrorisme s'en est trouvée grandement modifiée. Le front s'est réduit, la défense du territoire nationale s'est intensifiée, et la terminologie « guerre contre le terrorisme » a été abandonnée pour ne faire référence qu'à la lutte contre des organisations terroristes (par exemple, contre Al-Qaïda ou ses officines, une appellation fréquemment utilisée par Washington). Dans le cadre de la stratégie de lutte contre le terrorisme, on a aussi différencié le terrorisme du monde musulman et mis un terme aux deux guerres pour déployer des drones et des unités spéciales coordonnées. Dans ce contexte, Barack Obama a réduit le front de lutte antiterroriste au Moyen-Orient, soutenu les pays de la région et adopté un modèle consistant en l'appui d'une coalition antiterroriste et des drones, principalement pour répondre à l'expansion d'Al-Qaïda et de ses officines, notamment Al-Qaïda dans la péninsule Arabique. Alors même que l'Etat islamique commençait à émerger, Barack Obama est resté indécis quant à savoir s'il fallait combattre cette organisation et de plus, aux Etats-Unis, les avis sur la menace qu'elle posait étaient mitigés. Nombreux sont ceux qui pensaient qu'elle ne constituait pas une menace immédiate pour les Etats-Unis et ne souhaitaient pas que Washington aille de nouveau patauger dans le bourbier antiterroriste. A l'époque, le gouvernement de Nouri al-Maliki demandait de l'aide, mais Barack Obama s'est montré récalcitrant. Suite à l'offensive irakienne de l'Etat islamique, la menace n'a cessé de s'accroître et le 8 août, les Etats-Unis entamaient leurs frappes aériennes. Washington n'était cependant pas disposé à s'impliquer davantage, soulignant que toute intervention militaire avait ses limites et expliquant que les Etats-Unis n'avaient pas de stratégie à l'égard de l'Etat islamique. Par la suite, l'organisation a sans cesse exprimé son intention de viser les Etats-Unis et a assassiné deux journalistes américains à la suite, accentuant la pression à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Barack Obama a fini le 10 septembre par annoncer sa stratégie de lutte contre l'Etat islamique, principalement en accentuant le recours à la force militaire, à la fois en élargissant le spectre des raids aériens de l'Irak à la Syrie, en apportant un soutien aux forces de sécurité irakienne et en armement sur le plan local, en augmentant l'envergure de l'aide militaire accordée aux Kurdes d'Irak, aux Sunnites et aux « forces modérées d'opposition » en Syrie, mais aussi en accroissant les renseignements, en renforçant la coopération internationale et en établissant une coalition internationale pour lutter contre l'Etat islamique.

Le combat que les Etats-Unis livrent à l'Etat islamique pourra difficilement réussir. Jusqu'à aujourd'hui, plus d'un mois après l'annonce de la stratégie américaine et plus d'un millier de raids aériens, les pertes de l'Etat islamique restent minimes et l'organisation contre-attaque fréquemment. A une occasion, elle s'est rapprochée de la frontière entre la Syrie et la Turquie et elle a commencé à se doter d'une force aérienne : elle reste donc toujours aussi menaçante. Si Washington compte anéantir l'Etat islamique, les difficultés sont immenses.

Premièrement, Barack Obama n'a pas de stratégie d'ensemble et cohérente pour lutter contre l'Etat islamique.

Comme nous venons de le voir, le président américain agit dans l'urgence et peut difficilement maintenir la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient. La présence de l'Etat islamique en Irak et en Syrie est un écheveau que Washington ne peut démêler d'un seul coup. Pour anéantir l'organisation, il est nécessaire de déployer des effectifs au sol pour mener davantage d'opérations militaires, mais aussi avoir recours à des stratégies combinant la diplomatie, la collecte de renseignements, l'économie, la gouvernance et l'idéologie. Les résultats ne se verront qu'au bout de quelques années. Barack Obama a très tôt fait savoir qu'il ne mènerait pas de nouveau une guerre au sol comme celle qu'ont faite les  pendant dix ans et qui a épuisé le pays, mais aussi qu'il refusait de déployer des troupes au sol. Depuis de nombreuses années, il tente de se désengager du Moyen-Orient et accélérer le retour à une stratégie basée sur la diplomatie. Par ailleurs, Washington doit aussi prendre en considération la menace d'Al-Qaïda, rendant encore plus difficile l'engagement total contre l'Etat islamique. En septembre, Washington avait fait savoir que le groupe Khorassan posait une plus grande menace à la sécurité intérieure des Etats-Unis que l'Etat islamique et durant la seconde quinzaine de septembre, avait commencé en bombarder ses bastions.

Deuxièmement, la coalition contre le terrorisme est plus virtuelle que réelle.

Les alliés des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme ont tous des vues différentes et ne suivent pas vraiment Washington dans cette lutte, la plupart étant de simples pions. Les autres pays occidentaux jouent un rôle cosmétique, refusant de s'impliquer. La Grande-Bretagne et l'Australie ont été les premières à s'engager en Irak, mais elles ont fait demi-tour sans avoir largué la moindre bombe. Même si plus d'une dizaine de pays arabes soutiennent les Etats-Unis, leur volonté ne suffit pas et leur rôle concret est limité. L'Irak devrait être la force principale mais les services de sécurité du pays sont en proie à des conflits sectaires, à la corruption et à des difficultés en termes d'équipements et d'approvisionnements. Le moral des troupes est au plus bas et leur capacité d'intervention militaire s'est considérablement affaiblie. Les forces de pays comme la Jordanie et l'Arabie saoudite, ainsi que d'autres pays du golfe Persique, sont insuffisantes et ne peuvent pas affronter l'Etat islamique. Le 27 octobre, le général John Allen, émissaire spécial du président pour la coalition contre l'Etat islamique, appelait les pays membres à contribuer davantage.

Troisièmement, sans la présence de l'Iran et la Syrie dans la coalition, l'efficacité de la lutte contre le terrorisme est limitée.

Washington a toujours eu une attitude ambivalente vis-à-vis des forces terroristes en Iran et en Syrie, tantôt en les combattant, tantôt en les utilisant pour affaiblir Téhéran ainsi que le pouvoir de Bachar el-Assad en Syrie. Avec cette logique, Washington souhaitait ne pas combattre l'Etat islamique, mais s'en servir pour viser Téhéran et Damas. Actuellement, alors que Washington a écarté l'Iran et la Syrie, deux pays dont le désir de combattre le terrorisme au Moyen-Orient est le plus fort et dont la puissance militaire est la plus développée, et que Washington continue d'accroître son soutien au gouvernement d'opposition pour qu'il affronte militairement le régime du président Bachar el-Assad, le résultat risque d'être contre-productif. Si Washington ne modifie pas sa méthode habituelle de soutien aux forces terroristes pour lutter contre ses ennemis et n'obtient pas la collaboration de l'Iran et de la Syrie, sa stratégie de lutte contre l'Etat islamique aura des difficultés à aboutir.

La lutte contre le terrorisme est fondamentalement un type de conflit asymétrique. Washington ne pourra pas éradiquer l'Etat islamique sur le court terme. De plus, le 26 octobre, les Etats-Unis ont annoncé le retrait des troupes de combat d'Afghanistan et Al-Qaïda reprend de la vigueur en Asie du Sud. A l'avenir, Washington devra faire face aux deux fléaux que constituent l'Etat islamique et Al-Qaïda, une menace terroriste encore plus saillante.

 

L'auteur est chercheur assistant à l'Institut de recherche des relations internationales contemporaines de Chine.

 

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