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Publié le 19/02/2014
Christine Cayol, passeur artistique qui concrétise son rêve en Chine

Et lorsqu'en France, on me demande, combien de temps comptes-tu rester encore à Pékin ? Je réponds, aussi longtemps qu'en France, on ne choisit pas entre ses deux poumons.

Yang Jiaqing

En octobre 2013, Christine Cayol recevait à l'ambassade de France à Beijing la Légion d'honneur des mains de Jean-Pierre RAFFARIN.

« C'est l'histoire d'un rêve qui a pris la forme singulière d'un lieu. Depuis que je suis enfant, je rêve d'une maison ouverte et chaleureuse dans laquelle les artistes mais aussi toutes sortes de gens se sentiraient chez eux. Une maison pour créer et transmettre ». Cette confession s'affiche sur la page d'accueil du site de la Maison des Arts Yishu 8 (http://www.yishu-8.com/), avec une photo de sa fondatrice, Christine Cayol. En octobre 2013, dix ans après son installation en Chine, cette Française que les Chinois appellent Jiayue recevait à Beijing la Légion d'honneur des mains de Jean-Pierre RAFFARIN. Elle était ainsi honorée pour sa contribution aux échanges artistiques et culturels entre la Chine et la France, par le biais notamment de son établissement situé au centre-ville de la capitale, près du Palais des beaux-arts de Chine, à deux pas de la Cité interdite.

Parcours en Europe

Titulaire d'un diplôme de philosophie de troisième cycle de la Sorbonne, Christine Cayol a très tôt su dresser un pont entre la réflexion philosophique et l'art. « C'est vraiment la passion qui m'a guidée. Essayer de comprendre le monde par la philosophie, et d'autre part, être en relation avec lui grâce à l'art était peut-être les deux plus belles choses qu'on pouvait faire dans la vie », dit-elle au journaliste de Beijing Information. L'interview a eu lieu dans les locaux de Yishu 8, dans une salle somptueuse, le salon Edmond de Rothschild, un lieu qui invite à la découverte de la passion du vin.

Le parcours professionnel de Jiayue en France a d'abord été celui de l'enseignement de la philosophie dans un lycée. Mais c'est en Espagne que sa rencontre avec l'art a été déterminante. A l'âge de 27 ans, elle enseignait le français à l'université de Madrid. « L'Espagne m'a beaucoup marquée, à cause de sa peinture, Vélasquez, Goya, et bien sûr la peinture contemporaine et l'art contemporain avec Antoni Tàpies », se souvient-elle.

Départ pour la Chine

Elle prend le chemin de la Chine en 2003 avec son époux Hervé Machenaud, (son nom chinois, Ma Shilu, signifie littéralement « le cheval connaissant bien son chemin »). Dans les années 1990, il a joué un rôle important dans l'organisation, la préparation et la construction de la centrale nucléaire de Daya Bay en Chine.

« A cette époque, mon mari n'était pas mon mari, je ne le connaissais pas. Mais il a toujours été un très grand ami de la Chine ». se rappelle-t-elle. Il a alors évoqué la possibilité de vivre un jour à Beijing.

Ne connaissant rien de la Chine et de sa langue, cette Française est arrivée à Beijing sans savoir ce qu'elle allait y trouver. Mais elle avait une idée en tête : apprendre et découvrir un autre monde, une autre culture.

Genèse de Yishu 8

S'habituant peu à peu à la vie pékinoise, Jiayue a commencé à concevoir le projet de création d'une maison des arts, un rêve de jeunesse. Pour le réaliser, il lui a fallu trouver des financements. Comme le veut l'adage « aides-toi, le ciel t'aidera », elle a mis son bas de laine sur la table pour investir dans ce projet. Son associé chinois Xue Yunda a aussi investi ses deniers personnels pour la réussite de cette cause.

Christine Cayol lors de la conférence Culture chrétienne et image du corps : l'incarnation comme référence oubliée ? , dans le cadre de l'exposition 《Ecriture du Corp》tenue à Yishu 8 en mai 2012.  (Photo d'archive)

Les débuts n'ont pas été faciles après la création en 2009. Yishu 8 n'a en effet pas de vocation commerciale, c'est plutôt une maison où « l'art et la philanthropie se rencontrent ». La zone où Yishu 8 avait ouvert ses portes, en face du quartier internationale des affaires de Guomao, a fait l'objet d'un projet de réhabilitation pour être par la suite détruit en 2011. « J'ai surmonté ces difficultés en gardant ma confiance, ne désespérant jamais. En me disant que la Chine est le pays des opportunités. Donc, s'il y a quelque chose qui s'arrête, il y a forcément autre chose qui va continuer », confie-t-elle.

Fin 2011, Yishu 8 renaît de ses cendres sur le site de l'ancienne université franco-chinoise créée en 1920. Cette institution fut « au cœur des échanges culturels franco-chinois », d'après son ancien recteur Li Shuhua. Il s'agit d'un ancien édifice chinois aux tuiles vernissées. Loin du tumulte de la ville, dès la porte franchie, l'atmosphère des lieux surprend le visiteur. L'endroit est paisible et sa décoration chaleureuse, associant harmonieusement les codes esthétiques chinois et occidentaux.

Art et argent

Quand elle donne des conférences, Jiayue dit souvent que l'art et la philosophie vont de pair. Mais que pense-t-elle des rapports entre l'art et l'argent ?

« L'art et l'argent sont aussi amis. Ils sont comme des amis qui ont parfois des relations difficiles et compliquées. L'art a besoin de l'argent, mais l'argent n'a besoin que de l'argent. Si on n'a pas d'argent, on ne peut pas faire de projets. La seule question, ce n'est pas uniquement par rapport à l'art, mais par rapport à la vie. Est-ce que l'argent est un moyen ? Ou est-ce que l'argent est un but ? Nous, nous avons une vision très philanthropique, nous pensons qu'il faut de l'argent, mais cet argent doit servir l'art et les artistes ».

Jiayue se réjouit de voir des Chinois se tourner vers le mécénat d'art. « Nous ne sommes pas du tout un fonds financier, ni un business. Nous ressemblons plus à une association philanthropique ».

A l'heure actuelle, le financement de Yishu 8 provient de trois entreprises françaises, à savoir le Groupe Edmond de Rothschild, la Fondation d'entreprise Hermès et Aegis.

Critères esthétiques

D'une grande ouverture d'esprit, elle rejette la notion trop générale de courant, qui selon elle ne regroupe que « des inventions d'historiens ou de critiques d'art. Je ne sais pas ce qu'est le courant, je ne sais que ce que c'est qu'un artiste », poursuit-elle. « Par exemple, je ne m'intéresse pas à l'impressionnisme, mais j'adore Monet. Je n'aime pas beaucoup le Pop'art, mais j'adore Andy Warhol. C'est les personnes, les artistes qui m'intéressent ».

Ce sont justement les artistes qui sont au cœur du prix Yishu 8. Il s'agit d'un programme de résidence d'une durée de trois mois visant à aider les jeunes artistes français et chinois en leur donnant la possibilité d'exercer leurs talents en Chine ou en France, d'avoir un atelier, de travailler et d'exposer. Jiayue se montre enthousiaste. « Yishu 8 est vraiment un peu comme la villa Médicis à Rome, une plate-forme qui aide la jeune création contemporaine. Pour moi, c'est très important de parler de l'avenir, de demain, je crois vraiment que l'avenir dépend de nos artistes. On ne peut pas fonder une civilisation uniquement sur l'économie et la technique. La civilisation repose d'abord sur la culture, ensuite sur l'économie et les techniques », dit-elle d'un ton empreint d'une grande fermeté.

Les artistes que Yishu 8 sélectionne sont bien sûr talentueux, mais ils ont aussi un rapport très poétique au monde. Ils peuvent, pour reprendre le thème d'une exposition organisée dans le Grand Carré, « réenchanter le monde ».

Succès en Chine

Revenant sur sa distinction de chevalier de la Légion d'honneur décernée l'an passé, elle y voit une récompense pour sa contribution bénévole aux relations franco-chinoises. « Je ne le fais pas pour l'argent, mais pour l'amour de la France, pour l'amour de la Chine et pour l'amour de la culture. Je n'ai pas encore reçu de récompense du gouvernement chinois. Mais j'aimerais beaucoup », dit-elle en souriant.

Jiayue insiste sur la nécessité de « passer plus de temps ensemble » pour améliorer les échanges franco-chinois. Il faut que les gens qui ont de grandes responsabilités en France viennent en Chine et y restent plus longtemps, pas seulement un ou deux jours. C'est de cette façon que les Français pourront comprendre la Chine de l'intérieur pour y acquérir un vécu, une expérience plus personnelle. Du côté chinois, il ne suffit pas seulement de connaître la culture française, encore faut-il appréhender la manière de vivre et de penser dans l'Hexagone.

Bien que sa vie familiale et professionnelle se déroule désormais en Chine, elle ne se considère pas comme une expatriée et rentre une fois par mois en France. « Si l'on fait des ponts entre la France et la Chine, il faut soi-même être sur le pont ».

L'interview touche à sa fin. « Ce que j'ai fait en Chine correspond tout à fait à mes attentes. Mon rêve de Chine, je le réalise, c'est Yishu 8 », conclut-elle.

 

Beijing Information

 

Bibliographie de Christine Cayol

▪ « L'art en Espagne 1936-1996 » (Nouvelles Editions Françaises, 1996), (traduction chinoise en préparation)

▪ « l'Intelligence sensible, Picasso, Shakespeare, Hitchcock au secours de l'économie » (Ed. Village Mondial, 2003),

▪ « Voir est un art » (Ed. Village Mondial 2004) – ouvrage traduit en Chinois (Ed. Commercial Press, 2008)

▪ « Je suis catholique et j'ai mal » (Ed. Seuil, 2006) traduit et paru en italien en 2009

▪ « A quoi pensent les Chinois en regardant Mona Lisa ? » (Ed. Tallandier, 2012) co-écrit avec le professeur Wu Hongmiao de l'université de Wuhan



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