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Publié le 15/01/2014
La visite de Shinzo Abe à Yasukuni donne au Japon une image encore plus négative

Huang Xingyuan (ambassadeur de Chine à Trinité-et-Tobago)

Ma fille, étudiante en master à l'université Waseda au Japon, me pose souvent cette question : « La plupart des Japonais sont en règle générale très amicaux et le premier ministre Shinzo Abe est très apprécié au Japon. Comment se fait-il que la Chine dise toujours que le Japon prend un virage à droite ? ». Shigeru Ishiba, ancien ministre de la Défense sous l'étiquette du Parti libéral-démocrate, m'a aussi posé une question similaire à l'occasion d'un forum de réflexion sino-japonais. « Après la guerre, et depuis plusieurs décennies, le Japon s'est engagé dans la voie de la paix. Pourquoi la Chine dit-elle toujours que le Japon renoue avec le militarisme ? ». Le célèbre animateur de télévision Soichiro Tahara m'a lui aussi posé la même question : « Les relations sino-japonaises ont connu des perturbations avant de s'améliorer. Pourquoi la situation devient-elle maintenant précaire ? ».

Sur la question de la droitisation du Japon, ce n'est pas la Chine qui le prétend, c'est un fait manifeste. Il y a 25 ans, lors de mon premier séjour de travail à Osaka, la droite japonaise perturbait l'ordre public devant le consulat général. J'étais directeur de bureau et je discutais avec les autorités locales et la police, j'ai même eu l'occasion de dialoguer avec les responsables de la droite. A cette époque, ils savaient encore se comporter ; ils étaient marginalisés par la population et restaient isolés. Les mouvements de droite sont aujourd'hui florissants. Alors qu'ils n'étaient que vocaux, ils se sont développés pour investir les représentations diplomatiques et lancer des cocktails Molotov. Le problème, c'est que récemment, les mouvements de droite ont organisé plusieurs manifestations bruyantes auxquelles de nombreux Japonais prennent part.

Je ne pourrais pas dire si les idées de la droite recueillent davantage de sympathie et de soutien auprès des Japonais ou si la longue période de récession économique dans l'Archipel nippon a été un prétexte pour qu'ils se laissent aller. Regardez juste les médias japonais, avec lesquels j'ai travaillé pendant plus de dix ans. Sans parler du journal conservateur « Sankei Shimbun », même les médias qui s'affichent depuis longtemps comme neutres et impartiaux comme le « Yomiuri Shimbun » ainsi que la NHK, ont laissé s'exprimer des propos extrêmes ou ont donné la parole à des politiciens et des experts d'extrême-droite. Ces derniers ont utilisé les médias publics à leurs propres fins pour raconter des billevesées. Pas étonnant que j'ai écarquillé des yeux quand un journaliste japonais, qui d'après moi est plutôt à droite, m'a dit qu'il subissait les critiques de ses collègues pour être dans la minorité des sinophiles. Regardez les politiciens japonais, qui discutent et s'expriment de manière problématique, et qui rendent des hommages de manière tout aussi problématique.

Par le passé, les dirigeants dont les paroles et les actes posaient des problèmes et entraînaient un contentieux diplomatique prenaient leurs responsabilités et démissionnaient. Maintenant, par contre, c'est une occasion qui leur permet d'accroître leur popularité. Voyons aussi la question des manuels scolaires. Malgré les critiques qui se font plus vives chaque année sur le plan international, le nombre d'écoles japonaises qui adoptent des manuels d'histoire glorifiant la guerre augmente chaque année. Comment ne pas dire qu'un pays ne vire pas à droite quand il y a des organisations de droite et un premier ministre de droite, quand ses médias et ses manuels scolaires sont de droite ?

Quant à savoir si l'on assiste à une renaissance du militarisme au Japon, sans même mentionner la récente offensive agressive dans la sécurité militaire dans le pays, je veux juste reprendre l'exemple que j'ai cité dans un débat télévisé. J'ai accordé beaucoup de soutien à un jeune réalisateur chinois vivant au Japon qui a passé dix années à tourner un documentaire appelé « Yasukuni ». J'ai ensuite préfacé son livre qui a paru en Chine et a connu un vif succès. Le film a rencontré des obstacles au Japon, mais a été récompensé dans sa catégorie dans des festivals.

Ce qui a contribué au succès de ce documentaire, ce n'est pas tant ce qu'il dévoile et qu'il critique des faits surprenants, c'est surtout qu'il a rassemblé des documents pendant dix ans sur le sanctuaire Yasukuni qui permettent aux gens de réfléchir. Un jeune japonais, qui a vu le film, m'a dit qu'avant, il n'y était jamais allé et ne comprenait pas pourquoi la Chine et la Corée du Sud en faisaient toute une histoire. Quand il a vu ce film, où un Shintaro Ishihara hystérique commet des gaffes, où des anciens combattants, des va-t-en-guerre arborant des décorations sur des uniformes, font un tapage devant le sanctuaire, où les explications fournies dans le musée Yushukan sont fallacieuses et détournent la vérité, il a ressenti un profond sentiment de honte et d'horreur pour la guerre. « Pas étonnant que de nombreux amis étrangers ne nous comprennent pas, même nous, nous avons du mal à le concevoir. J'espère qu'avant d'aller à Yasukuni, les politiciens japonais pourront voir ce film », a-t-il ajouté.

Durant les cinq années pendant lesquelles j'ai exercé la fonction de porte-parole de l'ambassade de Chine au Japon, le premier ministre Junichiro Koizumi s'est entêté à se rendre au sanctuaire Yasukuni à six reprises. J'ai la conviction que depuis 1978, quand 14 criminels de guerre de catégorie A ont été secrètement consacrés, les politiciens auraient dû se tenir éloignés de cet embrouillamini de fantômes et de superstition, particulièrement le premier ministre japonais. D'après ce que je sais, même certaines familles des criminels de guerre souhaitent que les politiciens ne se rendent pas au sanctuaire réveiller les morts pour leur propre publicité.

Les Chinois disent souvent que le « chat échaudé craint l'eau froide ». Quand on pense au passé d'agression du Japon, et quand on regarde maintenant les dirigeants japonais dans leurs actes, comment croire qu'un premier ministre de droite qui a une vision erronée de l'histoire et qui va se recueillir dans un sanctuaire abritant des criminels de guerre de catégorie A puisse prier pour la paix ? Quand on pense qu'un gouvernement actuellement au pouvoir préconise un amendement à la Constitution et fasse passer par la force une loi sur la protection des secrets d'Etat, il n'est pas surprenant que les pays qui ont été victimes s'inquiètent du renouveau du militarisme au Japon.

Pour répondre à la question de Soichiro Tahara maintenant. Les relations sino-japonaises se développent et grandissent sur des fondations politiques, sur des liens affectifs et des intérêts mutuels. Nous voyons cependant que les fondations politiques sont souvent ébranlées par certaines personnes au Japon, surtout à l'initiative du premier ministre ; quant aux liens affectifs, ils subissent les assauts de l'arbitraire et de l'absence de vergogne. Comment donc garantir les intérêts mutuels ?

Que quelques ennuis surviennent entre la Chine et le Japon, ce n'est pas ce que nous craignons. Par contre, nous ne souhaitons pas que cela entraîne des problèmes artificiels, notamment s'ils créent une situation problématique pour les intérêts fondamentaux de la Chine et les fondations politiques des relations sino-japonaises notamment. Peu après le 26 décembre 2012, quand le premier ministre Shinzo Abe a pris ses fonctions, j'avais écrit un article dans la publication en japonais « Chine populaire » et pour le « Global Times », une publication chinoise. J'y exprimé l'opinion que l'arrivée au pouvoir de Shinzo Abe avait peut-être ouvert la boîte de Pandore.

Un an plus tard, les actes de Shinzo Abe montrent que mes craintes n'étaient pas infondées. A l'époque, j'avais trois mises en garde à l'encontre du premier ministre japonais. La première, c'est qu'il ne fallait pas prendre de risques sur la question territoriale. La seconde, c'est qu'il ne fallait pas jouer avec la question de Yasukuni. La troisième, enfin, c'est de ne pas être le parangon des seuls Etats-Unis aux dépens des autres. Je savais bien que M. Abe ne m'écouterait évidemment pas, même s'il a fait dire qu'il avait lu mon article. Il devrait néanmoins écouter les voix qui s'élèvent au Japon et dans le monde et envisager de manière convenable le futur du peuple japonais

En fait, j'ai aussi une question à poser à Shinzo Abe. Vous pensez que vous pouvez tout vous permettre ? Le premier ministre s'est en effet rendu au sanctuaire Yasukuni en violation du principe de laïcité au Japon, mais aussi en violation du droit international. Par ailleurs, l'image du Japon en Chine, en Corée du Sud et même aux Etats-Unis est encore plus ternie. Avec de telles opinions radicales de droite, un Japon, dirigé par un premier ministre qui n'en fait qu'à sa tête, un Japon qui veut jouer un rôle accru sur la scène mondiale, comment un tel pays peut-il rassurer la communauté internationale ?

 

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