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Beijing+30, l'égalité en actes : trente ans après, les femmes au cœur du nouvel agenda mondial |
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SONIA BRESSLER* · 2025-10-11 · Source: Dialogue Chine-France | |
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Trente ans après la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes, Beijing redevient le point de convergence d’un monde en quête d’équilibre. En 1995, la Déclaration et le Programme d’action de Beijing avaient fait émerger un langage commun : les droits des femmes sont des droits humains. L’événement avait posé les fondations d’une révolution silencieuse, en inscrivant l’égalité dans le champ des politiques publiques.
Depuis, les progrès sont réels. Le nombre de pays dotés de lois pour l’égalité est passé de 12 à 193. La scolarisation des filles a grimpé de 69 % à 89 %. La présence des femmes dans les parlements a plus que doublé. Mais ces chiffres, derrière leur éclat statistique, dissimulent des fractures persistantes : violences de genre, précarité économique, recul des droits sexuels et reproductifs, montée des conservatismes et du « backlash » antiféministe.
L’héritage de Beijing demeure donc un chantier ouvert — non plus celui de la proclamation des droits, mais celui de leur effectivité.
1995-2025 : de la promesse à l’exécution
Beijing 1995 avait marqué une rupture historique : pour la première fois, les États reconnaissaient que l’égalité femmes-hommes n’était pas un supplément d’âme mais une condition du développement. L’éducation des filles, la lutte contre les violences, l’accès à la santé et au travail décent formaient les piliers d’un monde plus juste.
Trente ans plus tard, le défi n’est plus juridique mais opérationnel. Les lois existent ; leur mise en œuvre vacille. Les données de l’ONU Femmes (2024) montrent que le monde est hors trajectoire pour atteindre l’Objectif de développement durable n°5 sur l’égalité des sexes. La crise climatique accentue la vulnérabilité des femmes rurales ; la révolution numérique ouvre un champ inédit de violences en ligne ; et les crises économiques successives pèsent davantage sur celles dont le travail, souvent invisible, soutient la société.
Dans ce contexte, le principal objectif du Sommet mondial des femmes à Beijing devrait être de passer des déclarations aux vies, de transformer les cadres normatifs en politiques concrètes. L’enjeu n’est plus d’ajouter des textes, mais de garantir des moyens : budgets fléchés, services accessibles, données fiables, et mécanismes de recours effectifs.
Au cœur de cet agenda, une priorité s’impose : reconnaître et financer l’économie du care. Les femmes consacrent encore, selon l’OIT, plus du triple du temps des hommes aux soins non rémunérés. Tant que ce travail restera invisible et non valorisé, l’égalité restera théorique. Faire du care un pilier de la protection sociale universelle, c’est rendre justice à celles qui soutiennent la vie quotidienne et libérer un temps essentiel à l’éducation, à l’emploi, à la créativité.
La Chine, héritière et actrice de l’esprit de Beijing
Pour la Chine, la Conférence de 1995 fut plus qu’un sommet diplomatique : un point d’ancrage pour inscrire l’égalité dans la durée. La notion d’« égalité fondamentale entre les sexes » figure depuis comme un principe constitutionnel, et plusieurs Outlines for Women’s Development successifs ont permis d’articuler des politiques concrètes. Le dernier en date, celui de 2021-2030, fixe des objectifs chiffrés en matière d’éducation, de santé, de participation économique et politique.
Les progrès sont visibles : la proportion de jeunes femmes dans l’enseignement supérieur n’a jamais été aussi élevée, la santé maternelle s’est nettement améliorée, et la loi révisée en 2022 sur la protection des droits et intérêts des femmes renforce la lutte contre la discrimination et le harcèlement.
Mais ce qui illustre le mieux ces transformations, ce sont les visages.
Je me souviens d’une rencontre à Lhassa, au Xizang, avec de jeunes femmes qui avaient bénéficié de la gratuité de l’enseignement secondaire. Leur joie d’apprendre incarnait ce que Beijing 1995 avait semé : la conviction que l’éducation est la clé de l’émancipation.
Quelques années plus tard, au Xinjiang, j’ai échangé avec des femmes qui avaient non seulement étudié, mais aussi créé leur entreprise. Elles parlaient avec fierté de leur autonomie, de leur capacité à agir et à contribuer au développement local.
Ces trajectoires, autrefois exceptionnelles, deviennent aujourd’hui de plus en plus ordinaires — et c’est là la marque d’un changement profond. L’idéal proclamé à Beijing en 1995 se concrétise désormais dans la vie de femmes qui transforment leur avenir.
S’il fallait incarner cette évolution par un nom, ce serait celui de Zhang Guimei.
En fondant le premier lycée gratuit pour jeunes filles défavorisées du Yunnan, elle a permis à des milliers d’adolescentes d’échapper au mariage précoce, de poursuivre des études supérieures et de choisir leur destin.
Son combat illustre une vérité simple : l’éducation est la racine de la liberté.
Dans un monde où les droits des femmes sont parfois fragilisés, Zhang Guimei rappelle que la lutte pour l’égalité n’est pas seulement une affaire de lois, mais aussi d’actes concrets, de patience et de courage quotidien.
Son action résonne avec les paroles de Virginia Woolf, qui écrivait qu’une femme a besoin d’« une chambre à soi » pour écrire et penser. Zhang Guimei, elle, offre à ces jeunes filles une salle de classe à elles — un espace pour apprendre, imaginer, et réinventer l’avenir.
Pour un nouvel agenda mondial : l’égalité comme moteur du progrès humain
L’égalité n’est pas un luxe moral, c’est un levier stratégique. Dans le champ économique, toutes les études convergent : inclure les femmes dans la production et l’innovation augmente la croissance, la résilience et la créativité. Dans la culture, cela élargit les imaginaires et brise les représentations figées. Dans la recherche scientifique, cela ouvre de nouveaux champs (de la santé à l’intelligence artificielle) où la diversité des perspectives devient une condition d’éthique et d’efficacité.
Le monde du XXIᵉ siècle, confronté à la crise climatique, à la révolution numérique et à la transformation des modes de travail, a besoin de toutes les intelligences. Or, la moitié d’entre elles demeure encore sous-représentée ou sous-valorisée. Réinvestir dans l’égalité, c’est réinvestir dans le futur.
Le Sommet mondial de Beijing pourrait être l’occasion de lancer un Pacte mondial du care et de la protection sociale, reposant sur trois piliers :
1.Des services publics universels (garde d’enfants, dépendance, santé reproductive) financés et accessibles ;
2.Des congés parentaux équitables et non transférables ;
3.La ratification généralisée de la Convention 190 de l’OIT contre la violence et le harcèlement au travail.
Ce serait une manière de donner à Beijing+30 une portée concrète, en reliant l’égalité des sexes à la justice sociale et à la durabilité environnementale.
Dialogue Chine-France : convergences et espérances
Dans ce contexte, la France et la Chine peuvent jouer un rôle complémentaire.
La France porte, avec sa diplomatie féministe, une réflexion normative sur la représentation et les droits civiques. La Chine, de son côté, expérimente des modèles d’inclusion par l’éducation, la santé et la participation économique. Entre ces deux approches se dessine une convergence possible : celle d’une égalité pragmatique et universelle, enracinée dans les cultures mais ouverte à la coopération.
Les femmes, par leur expérience de la conciliation, de la transmission et du soin, peuvent devenir les médiatrices du monde à venir. Dans un climat international souvent marqué par la compétition, elles rappellent que le progrès se mesure aussi à la capacité des civilisations à dialoguer, à apprendre l’une de l’autre, et à co-construire des horizons communs.
Trente ans après 1995, nous revenons à Beijing non pour commémorer, mais pour réinventer.
L’égalité ne peut plus se limiter à un discours ou à un indicateur : elle doit devenir une pratique quotidienne, mesurable, partagée.
Ce que j’ai vu à Lhassa ou au Xinjiang, ce que symbolisent des femmes comme Zhang Guimei, ce que proclament encore les mots de Virginia Woolf, tout cela converge vers une même idée : l’égalité n’est pas une revendication du passé, mais la langue vivante du futur.
Et si Beijing, une fois encore, devenait le lieu où le monde apprend à conjuguer ce mot au présent ?
*SONIA BRESSLER est philosophe et fondatrice de la Route de la Soie – Éditions.
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24 Baiwanzhuang, 100037 Beijing République populaire de Chine
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