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La Chine et l’Europe mettent le peuple en priorité |
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ROBERT WALKER* · 2025-04-30 · Source: La Chine au présent | |
Mots-clés: |
Symposium Confucius-Aristote 2024 « Les communs dans les traditions intellectuelles et les pratiques futures » à Beijing,
le 11 juillet 2024
Ce n’est pas seulement l’offensive du président Trump contre l’ordre commercial mondial qui souligne l’importance des relations entre l’Europe et la Chine. Ce n’est pas non plus le fait qu’à elles deux, elles représentent un tiers de l’économie mondiale, ni que l’année 2025 marque le 50e anniversaire de leurs relations diplomatiques.
C’est plutôt que l’Europe et la Chine partagent des valeurs fondamentales – bonne gouvernance, égalité, droits, liberté d’expression, entre autres – qui témoignent de plus de trois mille ans d’influence réciproque.
Bien que l’Europe et la Chine se situent aux extrémités opposées du continent eurasiatique, des analyses d’ADN révèlent des contacts constants tout au long de l’histoire, et même avant. La soie chinoise se trouvait déjà à Rome lors de sa transition de la république à l’empire au Ier siècle avant J.-C. Des étoffes de soie, issues de Parthie (actuellement une partie du nord-est de l’Iran) et d’autres régions d’Asie centrale, étaient défaites, retissées et reteintes afin d’être intégrées aux vêtements de style romain.
Vers la fin du IVe siècle, la soie était tellement répandue à Rome qu’elle se portait dans toutes les classes sociales. Le verre, l’argenterie et les métaux précieux romains étaient transportés vers l’Orient, et des pièces de monnaie romaines, datant du Ier siècle, ont même été retrouvées en Chine.
Du Ve au Xe siècle, le Haut Moyen Âge en Europe de l’Ouest, qui suivit la chute de Rome, offrait peu de marché pour les produits chinois. Cette période, autrefois qualifiée d’« Âge sombre » de l’Europe, ne représentait pas un marché attractif. En revanche, la demande pour les biens chinois provenait alors des empires islamiques médiévaux, centrés sur l’actuel Moyen-Orient, mais s’étendant de l’Afrique du Nord-Ouest jusqu’à l’Inde moderne.
Parallèlement à la dynastie Tang (618–907), ces empires islamiques connurent une prospérité notable et furent le théâtre de progrès significatifs dans les domaines des mathématiques, des sciences et de la médecine. Cette époque d’ouverture fut marquée par la renaissance des routes caravanières, le développement des voies maritimes, ainsi que par des missions diplomatiques et des échanges d’émissaires entre l’Est et l’Ouest. La fabrication du papier, apprise de la Chine, remplaça le papyrus et le parchemin dans l’ensemble du monde islamique. Les techniques chinoises d’impression étaient également connues, bien qu’elles n’aient pas été largement adoptées.
Les innovations chinoises parvinrent en Europe de manière indirecte, souvent au gré des croisades qui opposèrent l’islam au christianisme. Les Européens goûtèrent leurs premières oranges douces au XIe siècle, mais l’imprimerie dut être redécouverte de manière indépendante par l’orfèvre allemand Johannes Gutenberg dans les années 1450.
Au début du XIIIe siècle, l’empire mongol s’étendait du golfe de Finlande à la mer du Japon. La poudre à canon, les cartes à jouer et les dominos arrivèrent alors en Europe. On trouvait des quartiers chinois à Moscou et à Novgorod, tandis que des ingénieurs chinois furent employés pour améliorer l’irrigation dans la vallée du Tigre et de l’Euphrate.
Le récit de voyage de Rustichello de Pise sur les périples de Marco Polo en Asie, entre 1271 et 1295, comporte une section consacrée à la Chine et à la cour de Kubilai Khan. Bien que teinté de fantastique, ce récit contribua à alimenter en Europe une forme de scepticisme croissant quant à l’existence d’une civilisation sophistiquée au-delà de ses frontières. Des descriptions pourtant précises d’innovations telles que la combustion du charbon, l’utilisation du papier-monnaie ou encore la présence de compartiments de flottaison sur les navires de haute mer furent ignorées pendant des siècles.
Les visiteurs admirent les pièces de « Chinoiseries magnifiques : Exposition des porcelaines chinoises d’exportation du XVIIe au XVIIIe siècle » au Musée du Guangdong, à Guangzhou.
La dynastie Ming (1368–1644) inaugura une ère d’expansion économique et culturelle, marquée par un accroissement des échanges commerciaux autour de la porcelaine, des tissus de soie et, après 1588, du thé, introduit en Europe par les marchands portugais. Le mot « China », altération du nom « Qin », fit son entrée dans les langues portugaise et espagnole au début du XVIe siècle, avant d’être adopté en anglais vers le milieu de ce siècle. En 1589, l’explorateur et corsaire britannique Sir Francis Drake loua la qualité des exportations chinoises : « De fines assiettes de Chine en terre blanche, et une grande quantité de soies de Chine. » En 1616, William Shakespeare put jouer sur l’homonymie de « China » pour désigner à la fois le pays et la porcelaine : « Ce ne sont pas des [simples] assiettes en porcelaine de Chine, mais de très bonnes assiettes. » (They are not china-dishes, but very good dishes.)
Tout au long de l’histoire écrite, la balance commerciale a largement penché en faveur de la Chine, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Tandis que les Européens recherchaient les produits de qualité supérieure de la Chine, les élites chinoises avaient peu d’intérêt pour les biens européens – du moins jusqu’à l’arrivée des produits issus de la révolution industrielle à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Auparavant, au début du XIXe siècle, les marchands européens, incapables de remplir leurs navires à destination de la Chine, se tournèrent vers l’exportation d’opium. Lorsque les autorités chinoises tentèrent de protéger leur population des effets dévastateurs de cette drogue, des guerres éclatèrent.
L’adoption progressive de l’imprimerie permit à la pensée européenne de se libérer du carcan monastique et de l’emprise de l’Église catholique. Cela contribua à nourrir la Renaissance, avec une redécouverte de l’héritage classique européen, puis, au XVIe siècle, à la Réforme qui remit en question la religion établie. Cela mena également aux Lumières, qui s’étendirent aux XVIIe et XVIIIe siècles, et à la célébration de l’humanité par l’application de la raison dans la quête de la connaissance, de la liberté et du bonheur.
Durant ces siècles d’éveil, l’ontologie et l’éthique européennes évoluèrent dans une direction proche de celle de la Chine, notamment grâce à l’accès croissant aux textes chinois. Ce n’est pas un hasard si les attributs de la civilisation chinoise, ou du moins leur représentation fantasmée, vinrent orner le mode de vie des élites européennes : l’architecture et le design d’intérieur rococo, les jardins paysagers, le style décoratif de la chinoiserie avec ses imitations fantaisistes de motifs chinois, le papier mâché, le maillechort, ou encore le papier-monnaie.
La pensée chinoise ne fut qu’un des éléments en jeu durant les Lumières. Le néo-confucianisme, tel qu’il s’était développé sous la dynastie Song par une synthèse entre pensée séculière, taoïsme et bouddhisme, séduisit des déistes comme Voltaire et Jean-Jacques Rousseau en France, ou David Hume en Grande-Bretagne. Eux aussi cherchaient à concilier rationalité et métaphysique. Le concept chinois de taiji, littéralement traduit par « Grand Absolu », engendrant le mouvement et, à l’opposé, l’immobilité – le yang et le yin – faisait écho à l’idée déiste d’une
« Providence divine » : une divinité suprême dont les lois naturelles gouvernaient l’univers, lois que l’on pouvait découvrir par la raison. De même, les préceptes du ren, traduit par « humanité » et « compassion », dont l’essence est « un cœur sensible à la souffrance d’autrui », s’intégraient naturellement à la pensée déiste, la compassion apparaissant comme le prolongement logique de la bonté humaine.
Cependant, la compréhension que les Lumières avaient de la Chine était souvent médiatisée par les traductions et les écrits des jésuites, tels que Jean-Baptiste Du Halde, qui cherchaient à justifier leurs missions en Chine. Ce faisant, ils se virent contraints de répondre à la controverse entourant l’engagement confucéen envers les rites, souvent critiqués négativement comme une forme de « culte des ancêtres ». Présentant ces rites comme une « simple convention civile », certains allèrent jusqu’à affirmer que « les Chinois, depuis l’Antiquité, avaient vénéré le vrai Dieu ».
Il fallut du temps pour que l’Europe accepte l’idée avancée par le philosophe français Pierre Bayle, selon laquelle la Chine démontrait que la morale pouvait exister sans le soutien de la religion. En 1723, le philosophe allemand Christian Wolff fut même exilé pour avoir parlé positivement de la philosophie chinoise. Réhabilité après son exil, il devint finalement conseiller de Frédéric II – dit « le Grand » – de Prusse, qui cherchait explicitement à imiter les « rois philosophes » de Chine, « philosophe » étant ici une mauvaise traduction de shidafu, ces fonctionnaires ayant réussi les examens impériaux.
La pensée politique chinoise était tout simplement trop moderne pour l’Europe des Lumières, bien que des idéaux similaires doivent inspirer, plus tard, les États-providence européens du XXe siècle. Baron de Montesquieu, fervent défenseur de la liberté, qualifia la Chine de « despotique », incapable d’imaginer une société dans laquelle les contribuables individuels pouvaient exercer une influence, où l’État était distinct de la cour, et où l’autorité politique était confiée à des fonctionnaires. Selon lui : « Abolissez les privilèges des seigneurs, du clergé et des villes dans une monarchie ; et vous aurez bientôt un État populaire, ou bien un gouvernement despotique. »
Comme l’a démontré Martin Powers, professeur émérite à l’Université du Michigan, sous la dynastie Han (206 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.), les fonctions gouvernementales en Chine étaient déjà définies comme un ensemble de devoirs et attribuées selon les compétences, non selon le statut. Ainsi, le privilège, en tant que fonction du rang social, avait été remplacé par ce que nous appelons aujourd’hui des droits : « une autorité légale conçue comme indépendante de la lignée ». L’intérêt public était distingué de l’enrichissement personnel lié aux fonctions, autrement dit la corruption, tandis que la performance, y compris celle des empereurs, était évaluée à l’aune de la préoccupation manifeste pour le bien-être du peuple. Cette évaluation dépendait d’une volonté de critique, qui, à son tour, nécessitait la liberté d’expression, un droit que l’empereur Wen des Han accorda à tous les fonctionnaires, comme à tous les contribuables.
L’égalité devant la loi et le respect de la vie privée – l’idée selon laquelle certaines choses, y compris les pensées individuelles, doivent demeurer hors de portée de l’État, bien que déjà débattues sous la dynastie Han, ne furent réellement mises en pratique qu’à l’époque des Song (960–1279). Dans l’Europe de Montesquieu, l’égalité renvoyait encore à la conception aristotélicienne selon laquelle les privilèges de la noblesse étaient justifiés.
Même s’ils ne furent pas toujours respectés, ces principes ont nourri la gouvernance chinoise pendant des siècles. Rejointes plus tard par l’Europe après les Lumières, ces conceptions imposent aux autorités le devoir de veiller au bien-être des citoyens ; les besoins sociaux y sont reconnus au même titre que les besoins individuels, et les droits comme les responsabilités sont répartis de manière à servir au mieux l’intérêt général. Le gouvernement, dès lors, œuvre pour le peuple, et jamais contre lui.
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