Li Fei (g.), concepteur principal de l'alunisseur, Wen Bo (c.), conceptrice principale de Yutu-2, et Zhang He, directrice exécutive de Chang'e-4, dans un centre de contrôle de l’Académie des technologies spatiales de Chine le 25 janvier (Photo/Wei Yao)

Wen Bo conserve sur son smartphone quatre photos des moments qui jalonnent sa carrière d'ingénieure en aérospatiale ainsi que le programme de sonde lunaire en Chine.

La première photo a été prise en 2007, l'année où elle a commencé à travailler à l'Académie des technologies spatiales de Chine (ATSC) à sa sortie de l’université, l’année du lancement de Chang'e-1, la première sonde lunaire chinoise. Les deuxième, troisième et quatrième photos ont été prises respectivement après le lancement des trois autres sondes, respectivement en octobre 2010, décembre 2013 et décembre 2018. « Plus de 10 années se sont écoulées en un clin d'œil », remarque-t-elle.

Chang'e-4 a réussi son premier alunissage en douceur sur la face cachée de la Lune le 3 janvier. L'Administration nationale de l’Espace de Chine a annoncé le succès de la mission le 11 janvier.

En regardant l'alunisseur se poser depuis le Centre de contrôle de Beijing, Zhang He, directrice exécutive du projet Chang'e-4, ne pouvait contenir ses larmes. Parlant de ce moment d’émotion, elle a confié à Beijing Information sa satisfaction. « J'étais très excitée. Depuis trois ou quatre ans, l'équipe travaillait sans relâche. C’est un succès bien mérité. »

Un scientifique travaille dans une salle de contrôle de l'Académie des technologies spatiales de Chine le 25 janvier (Photo/Wei Yao)

Des défis de taille

« Je suis fière d'avoir participé à cette mission », confie Mme Zhang. « Nous avons réalisé ce qui n’avait jamais été fait auparavant et surmonté de nombreuses difficultés. »

L’un des principaux défis à relever pour explorer la face cachée de la Lune est celui des télécommunications, la zone ne recevant pas les signaux de la Terre. Un satellite de communication doit donc les relayer. Un problème résolu après le lancement du satellite Queqiao le 21 mai 2018.

Autre défi : la face cachée de la Lune est plus fréquemment la cible d’étoiles filantes et de météorites. Le terrain y est donc plus accidenté, ce qui présente un risque élevé lors de l’alunissage. Un site relativement sûr a donc été identifié. Li Fei, le concepteur principal de l’alunisseur, et ses collègues ont choisi le cratère Von Karman, relativement plat. En outre, l’engin a été équipé d'intelligence artificielle, avec des capteurs de mesure de la vitesse et de la distance pouvant traiter des images 3D pour analyser la déclivité, identifier les roches et éviter les obstacles. Il s’agit d’une technologie de pointe sur le plan international.

Le rover lunaire Yutu-2 a par ailleurs dû surmonter des difficultés plus grandes que son prédécesseur en 2013.

Mme Wen, l'une de ses principales conceptrices, a noté que ce rover avait été grandement amélioré pour éviter toute panne mécanique. Une fois sur la surface lunaire, elle en a assuré le contrôle. Constatant la complexité du terrain, elle a précisé que l’engin devait effectuer des arrêts et photographier la surface, puis renvoyer les données à la Terre via le satellite relais. Les scientifiques sur Terre les traitaient ensuite et décidaient de l’itinéraire. Les antennes de ce rover devaient être ajustées vers le satellite relais afin d’envoyer des signaux, tandis que les panneaux solaires devaient s'incliner vers le Soleil pour maximiser la production d’électricité. Ces défis laissent néanmoins entrevoir de nombreuses opportunités, a-t-elle remarqué, notant que la face cachée de la Lune était plus vieille et que l'étude de son sol pouvait permettre de mieux comprendre l'histoire de la Lune.

Par ailleurs, la face cachée de la Lune est idéale en radioastronomie pour capter les ondes à basse fréquence, dont l’ionosphère rendait en effet difficile la réception. Des expériences seront menées pour capter de tels signaux émis par des corps célestes éloignés afin d'étudier l’histoire de l'univers.

Des scientifiques au Centre de lancement de satellites de Xichang (Photo/Archives)

Une équipe dévouée corps et âme

Il faut trois à quatre ans en général, pour développer une sonde lunaire, un processus qui mobilise des dizaines de milliers de personnes, remarque Mme Zhang. Pour Chang'e-4, des modèles ont d'abord été conçus, puis les pièces développées, fabriquées, assemblées et testées. L’engin est ainsi composé de plus de 200 appareils et le rover de près d’une centaine, tous testés et révisés à maintes reprises.

« La caractéristique la plus importante d'un engin spatial est qu'une fois lancé, il est virtuellement impossible de le réparer, contrairement à une voiture qui peut être rappelée si elle est jugée défectueuse ou à un avion qui peut être entretenu périodiquement », explique Mme Zhang. Toute négligence peut réduire des années de travail à néant. Les ingénieurs attachent donc une grande importance à la qualité.

« Le secteur de l’aérospatial présente des risques élevés et nécessite des investissements à long terme. Tout le monde est soumis à de fortes pressions », précise M. Li. Sur le mur d’une salle de contrôle de l’aérospatiale, des panneaux rappellent : « Défaut zéro, panne zéro, normes élevées ». Les ingénieurs doivent aussi souvent s’engager dans une course contre la montre pour respecter les délais. Les concepteurs de Chang'e-4 faisaient souvent des heures supplémentaires et avaient même des chambres dans un hôtel proche pour gagner du temps.

En outre, les conditions de travail sont difficiles. Les essais sont effectués dans le nord-est de la Chine, où l’hiver est rigoureux, et dans le nord-ouest, dans des zones désolées du désert de Gobi.